La rencontre Greimas/Lévi-Strauss. Une convergence éphémère?
Ivan Darrault-Harris
La rencontre entre Greimas et Lévi-Strauss, qui eut lieu au début des années 1960, est restée constamment, pour le fondateur de l’École sémiotique de Paris, une rencontre déterminante. Mais les témoins directs s’en font rares tout comme les témoignages, les documents concrets.
Si les deux hommes appartiennent à la même génération, si leur parcours de vie fut également bouleversé par la guerre, si un exil prolongé marqua leurs débuts universitaires, de notables différences président à leur rencontre : notoriété d’ores et déjà acquise, degré d’accomplissement de l’œuvre, pour Lévi-Strauss, entre autres.
Quels sont donc les traits de cette convergence éphémère pourtant marquée initialement par l’enthousiasme et peut-être aussi par un malentendu? En effet, Greimas cesse assez vite les références et les dédicaces à Lévi-Strauss, lequel ne cite, à notre connaissance, jamais Greimas et ses travaux.
Pourquoi, précisément, et comment se produisit donc la divergence, situable selon nous dès 1963, dans un article dédié à G.Dumézil, inséré dans Du Sens, 1970?
Enfin, paradoxalement, de quelle manière l’œuvre de Lévi-Strauss, aujourd’hui encore, influence-t-elle les travaux des sémioticiens de l’École de Paris, tout particulièrement ceux qui se situent dans le champ du structuralisme morphodynamique (Jean Petitot, Jean-Jacques Vincensini, Ivan Darrault-Harris)?
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Introduction
1. État bref des parcours au moment de la rencontre.
1.1. Le parcours de Lévi-Strauss.
1.2. La rencontre et ses conséquences : autour de quelques publications de Greimas (1956-1970).
Conclusions
Introduction
Il est plus malaisé qu’il n’y paraît de reconstituer avec la précision requise les conditions historiques précises de la rencontre entre Lévi-Strauss et Greimas, et cela pour plusieurs raisons :
- La distance temporelle commence à être très importante si, intuitivement, on peut situer cette rencontre dans les années 1962-63, dès le retour de Greimas de Turquie ; et les témoins directs en deviennent rares (J. Courtés, J.-C. Coquet, M. Arrivé, F. Rastier pour les plus importants et compétents sur ce sujet, que nous avons interrogés).
Et l’exceptionnelle longévité de Lévi-Strauss fait qu’il survit depuis quelquefois fort longtemps à ses stricts contemporains (Merleau-Ponty, né la même année que lui, et qui se désespérait de paraître plus vieux que lui, est mort en 1961, il y a 47 ans!).
- Il n’existe pas, à notre connaissance, et ce n’est pas faute d’avoir cherché, de témoignage, de document écrit portant trace de cette rencontre, dont les conséquences perdurèrent pourtant quelques années. [1]
Mais Lévi-Strauss, dans ses nombreux textes, ne cite pas Greimas, ne fait aucune référence à ses travaux. Ainsi Greimas n’apparaît-il pas dans les entretiens de l’ouvrage De près et de loin.
Et Greimas, selon son habitude générale bien connue, fait rarement voire nullement référence à Lévi-Strauss après 1970 (Sémantique structurale, Du Sens).
On s’appuiera donc sur les entretiens que Greimas a pu donner, abordant cette période (mais de fait il en parle fort peu) et sur les témoignages oraux des témoins de l’époque. Sur, aussi, ce que Greimas a pu nous confier, aux uns et aux autres, durant la longue période de notre collaboration (1965-1992). [2]
1. Etat des parcours au moment de la rencontre
On connaît l’assez faible décalage des âges des deux intellectuels (C.Lévi-Strauss est né en 1908, Greimas en 1917), lequel les maintient au sein de la même génération. Mais leur rencontre, on le verra, a lieu en des points très différents de leurs parcours respectifs.
On peut remarquer cependant une apparente identité de ces parcours perturbés par la seconde guerre mondiale, soit un « exil » prolongé de l’un et l’autre (Lévi-Strauss au Brésil avant la guerre puis à New-York, pendant le conflit mondial ; Greimas en France, puis en Égypte et en Turquie) avant un retour de l’un et de l’autre à Paris, lieu de la convergence avant la divergence que l’on sait.
1.1. Le parcours de Claude Lévi-Strauss
C. Lévi-Strauss, dans ces années de la rencontre, a d’ores et déjà publié une grande partie de son œuvre (si nous prenons le repère de l’année 1964):
- La Vie familiale et sociale des Indiens Nambikwara, 1948 ;
- Les Structures élémentaires de la parenté, 1949 (1967) ;
- Race et histoire, 1952 ;
- Tristes tropiques, 1955 (1973) ;
- Anthropologie structurale, 1958 ;
- (avec G.Charbonnier), Entretiens avec C.Lévi-Strauss, 1961.
- Le Totémisme aujourd’hui, 1962 ;
- La pensée sauvage, 1962 ;
- Mythologiques I : Le Cru et le cuit, 1964.
Il a opéré avec grand succès, depuis New-York, son « retour dans l’Ancien Monde », en 1948. Il est brièvement maître de recherches au CNRS, puis sous-directeur du Musée de l’Homme, élu en 1949, grâce aux efforts de Dumézil, à l’EPHE (Vème section) dans la chaire de Maurice Leenhardt « Religions des peuples non civilisés » qu’il modifie en « sans écriture ». Mais, dès 1949, Lévi-Strauss intervient aussi dans la VIème section de l’E.P.H.E., appelé par Lucien Febvre, l’historien. C’est dans les locaux de la Sorbonne (escalier E) qu’il accueillera plus tard Greimas, lui octroyant un bureau. On sait qu’il refuse à ce moment-là un poste important (full professor avec tenure, non congédiable) aux U.S.A., à Harvard (1953, Talcott Parsons). Notons que Maurice Merleau-Ponty est élu au Collège de France en 1952 et un groupe d’amis se forme alors avec les Leiris et les Lacan. C’est Merleau-Ponty qui, dès 1954, suggère à Lévi-Strauss de se présenter à nouveau au Collège de France. Et, dès 1959, après avoir essuyé deux échecs (1949 et 1950), il est élu au Collège de France, avec l’aide efficace du même Merleau-Ponty.
Le grand événement est alors l’installation du Laboratoire d’Anthropologie structurale dans les locaux du Collège de France, le « vieux » Collège, à la faveur de la fermeture d’une chaire de géologie, ainsi qu’il le raconte dans De près et de loin. Ce laboratoire dépendait à la fois du CNRS, du Collège de France et de l’EPHE. En effet Lévi-Strauss avait fondé ce laboratoire dès son entrée au Collège de France, mal installé qu’il était au départ dans une annexe du Musée Guimet. C’est aussi en 1961 que Lévi-Strauss, avec P.Gourou, E.Benveniste, A.Leroi-Gourhan, A.-G. Haudricourt fonde la revue L’Homme.
pubblicato on line il 6 ottobre 2009
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